Qualité de Vie :
Du Travail aux Autres Sphères de l'Existence
Session : Burnout et santé psychologique : facteurs de risque, de protection et trajectoires
La relation entre déshumanisation organisationnelle et épanouissement psychologique au travail : une question de désidentification ?
HAMEL J. 1,2, SCRIMA F. 3
1 Université de Rouen Normandie, Rouen, France; 2 Université de Lille, Lille, France; 3 Kore University of Enna, Enna, Italy
De précédentes études ont mobilisé la théorie de l’identité sociale (Tajfel & Turner, 1979) afin d’expliquer les conséquences néfastes du versant mécanique de la déshumanisation organisationnelle (DO) (e.g., Stinglhamber et al., 2021) – c’est-à-dire, le sentiment pour un employé d’être considéré comme un simple instrument au service de son organisation (Caesens et al., 2017). Dans ce cadre, une récente étude transversale a proposé la désidentification comme mécanisme pouvant exacerber son effet négatif sur le bien-être des employés (i.e., épanouissement psychologique, Hamel et al., 2024). Désinvestissant leur identité professionnelle afin d’atténuer les conséquences d’un traitement perçu comme délétère, les employés auraient ainsi d’autant plus de difficultés à maintenir une identité sociale positive nécessaire à leur épanouissement. Afin d’obtenir des preuves empiriques plus robustes quant à la chaine causale proposée et de considérer le rôle du versant animal de la DO (e.g., infantilisation, Brison et al., 2023), nous avons mené une étude longitudinale. La désidentification y était opérationnalisée par le niveau d’internalisation d’une perception objectifiée (i.e., auto-objectification, Baldissarri et al., 2014) ou animale (i.e., auto-animalisation) de Soi.
Basant nos analyses de puissance sur les relations précédemment observées entre ces variables (Hamel et al., 2024), nous avons sollicité un échantillon de 200 employés britannique (100 hommes, 100 femmes). Les participants ont rempli trois questionnaires auto-rapportés avec une latence de deux mois entre chaque temps de passation, de novembre 2024 à mars 2025. Les effets des différentes variables dans le temps ont été estimés par des modèles autorégressifs croisés (Liu et al., 2016). Les résultats indiquent que l'épanouissement psychologique au travail aurait un effet protecteur sur la désidentification des employés dans le temps au travers de son fort effet négatif sur les deux formes de déshumanisation organisationnelle. Ainsi, ils contredisent la proposition d'après laquelle la désidentification serait un mécanisme de détérioration du bien-être. Plutôt, ils soulignent qu'un fonctionnement psychosocial optimal en milieu de travail constitue une ressource prévenant l'émergence des perceptions de déshumanisation organisationnelle, et indirectement, la remise en question de l'identité sociale qui peuvent les accompagner.
En dépit de ses limites, notre étude apporte des preuves empiriques robustes quant à la relation entre le bien-être au travail et le sentiment d'être engagé dans une relation employeur-employé déshumanisante. Au regard des liens néfastes établis entre la DO et de nombreuses variables d'intérêt, ce travail met en lumière le cercle vertueux par lequel favoriser le bien-être des employés pourrait amener ces derniers à d'autant moins se désinvestir de la relation d'emploi. Sans invalider le mécanisme de désidentification, ces résultats peuvent être compris comme une spirale de gain au sens de la théorie de la conservation des ressources (Hobfoll et al., 2018). Par ailleurs, ils suggèrent que la désidentification par auto-animalisation pourrait être plus fréquente dans la mesure où elle implique une remise en question identitaire relative (et non absolue). De futurs travaux gagneraient à explorer d'autres conceptions du bien-être en lien avec la DO afin de nuancer ces propos.
References:
Baldissarri, C., Andrighetto, L., & Volpato, C. (2014). When work does not ennoble man: psychological consequences of working objectification. Testing, Psychometrics, Methodology in Applied Psychology, 21(3). https://doi.org/10.4473/TPM21.3.7
Hobfoll, S. E., Halbesleben, J., Neveu, J. P., & Westman, M. (2018). Conservation of resources in the organizational context: The reality of resources and their consequences. Annual Review of Organizational Psychology and Organizational Behavior, 5(1), 103-128. https://doi.org/10.1146/annurev-orgpsych-032117-104640
Brison, N., Lagios, C., Caesens, G., & Stinglhamber, F. (2023). Working like a machine or a best: exploring mechanistic and animalistic dehumanization in organizations. Testing, Psychometrics, Methodology in Applied Psychology, 30(2), 119-140. https://doi.org/10.4473/TPM30.2.1
Caesens, G., Stinglhamber, F., Demoulin, S., & De Wilde, M. (2017). Perceived organizational support and employees’ well-being: The mediating role of organizational dehumanization. European Journal of Work and Organizational Psychology, 26(4), 527-540. https://doi.org/10.1080/1359432X.2017.1319817
Hamel, J-F., Villieux, A., Montalan, B., & Scrima, F. (2024). Un outil n’est pas fait pour s’épanouir. Le rôle médiateur de l’auto-objectification entre la déshumanisation organisationnelle et l’épanouissement psychologique au travail. Psychologie du Travail et des Organisations, 30(3), 155-166. https://doi.org/10.1016/j.pto.2024.01.001
Liu, Y., Mo, S., Song, Y., & Wang, M. (2016). Longitudinal Analysis in Occupational Health Psychology: A Review and Tutorial of Three Longitudinal Modeling Techniques. Applied Psychology, 65(2), 379-411. https://doi.org/1111/apps.12055
Stinglhamber, F., Caesens, G., Chalmagne, B., Demoulin, S., & Maurage, P. (2021). Leader–member exchange and organizational dehumanization: The role of supervisor’s organizational embodiment. European Management Journal, 39(6), 745-754. https://doi.org/10.1016/j.emj.2021.01.006
Tajfel, H., & Turner, J. (1979). An integrative theory of intergroup conflict. Dans W. G. Austin, & S. Worchel (Eds.), The Social Psychology of Intergroup Relations (pp. 33-47). Brooks Cole.