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AIPTLF 2025 - du 8 au 11 juillet 2025

Qualité de Vie :
Du Travail aux Autres Sphères de l'Existence

Session :

Comprendre les trajectoires de socialisation organisationnelle des jeunes en décrochage scolaire : le cas des Compagnons du Devoir et du Tour de France

TASSIGNY L. 1

1 Université Paris Dauphine - PSL, Paris, France

Les Compagnons du Devoir, organisme de formation professionnelle, ont pour mission de « former des hommes et des femmes de métier et des Hommes tout court ». Cet objectif reflète une certaine forme d’entrelacement entre la sphère du travail et celle de l’existence, de la construction individuelle. 
Face aux enjeux de recrutement dans les métiers en tension et à leur mission d'« accueil de tous les jeunes qui le désirent», les Compagnons ont souhaité s’orienter vers un public jusqu’alors mal connu, les jeunes en décrochage scolaire. Lauréats d’un appel à projet dans le cadre du Plan d’Investissement dans les Compétences, ils ont mis en œuvre le « 100% inclusion », un programme personnalisé de préparation à l’apprentissage sur une durée de 6 mois destiné aux jeunes de 16 à 21 ans « très éloignés de l’emploi ». Cette initiative soulève l’enjeu central de l’intégration d’un public spécifique dans l’emploi et la formation. 
 
Notre travail s’oriente autour de la question suivante : comment la socialisation primaire influence t’elle la socialisation organisationnelle des jeunes en décrochage scolaire ?
Pour répondre à cette question, nous mobilisons l’approche interactionniste (Reichers, 1987) de la socialisation organisationnelle qui souligne l’influence des tactiques organisationnelles et individuelles, ainsi que l’approche relationnelle qui prend en considération les agents socialisateurs intra-organisationnels ou extra-organisationnels (Fabre et Roussel, 2013) dans ce processus. Ces approches sont éclairées par la théorie de l’identité sociale (Tajfel et Turner, 1986 ; Delobbe et De Boer, 2023). 
 
Basée sur une étude de cas unique, notre recherche empirique mobilise une méthodologie qualitative longitudinale, comprenant 147 heures d’observations et des entretiens semi-directifs avec 66 bénéficiaires et 32 agents socialisateurs sur une période de trois ans.
 
Nos résultats identifient quatre profils de décrocheurs « accompagné, autonome, nouvel arrivant, inséparable » et cinq trajectoires de socialisation, métaphoriquement décrites comme « autoroute, itinéraire bis, départementale, chemin de randonnée, voie sans issue ». 
Ces trajectoires montrent que l’intégration repose sur une connaissance approfondie des besoins spécifiques et des tensions vécues par ces jeunes au cours de leur processus de socialisation.
 
Nous discutons la pertinence de l’approche linéaire et séquentielle de la socialisation (Emery, 1990), au profit d’une démarche holistique. En effet, notre recherche révèle l’importance d’un décloisonnement entre socialisation organisationnelle, socialisation primaire et socialisation professionnelle. Observer comment se déroule la socialisation au sein d’un organisme de formation implique de regarder le lien au métier en tant que domaine de socialisation (Duc et al., 2020), l’articulation entre la socialisation à l’organisation elle-même et l’entreprise où se déroule l’apprentissage mais également, les spécificités des nouveaux entrants. En effet, les nouveaux entrants en décrochage ont été, jusqu’alors, relativement peu étudiés dans les travaux de la socialisation organisationnelle (Dufour et Lacaze, 2010 ; Laïchour et Chanlat, 2020) comparativement aux publics diplômés (Perrot, 2000). 
Nos contributions sont également managériales et sociétales et soulignent l’importance de dispositifs modulaires adaptés aux besoins des décrocheurs. 

References:

  • Delobbe, N. & De Boer, C. (2023). Formation et socialisation organisationnelle. Savoirs, N° 63(2), 11-48
  • Duc, B., Lamamra, N., & Besozzi, R. (2020). Les formateurs et formatrices en entreprise : Impact de leur posture sur les formes de socialisation professionnelle des apprenti·e·s. Formation emploi, 150, 167-188
  • Dufour, L., & Lacaze, D. (2010). L’intégration dans l’entreprise des jeunes à faible capital scolaire : Un processus d’ajustement mutuel. Revue de gestion des ressources humaines, 75(1), 16
  • Emery, Y. (1990). Recrutement et intégration des nouveaux collaborateurs : les rites d'initiation. Humanisme et Entreprise, 179, 9-22
  • Fabre, C., & Roussel, P. (2013). L’influence des relations interpersonnelles sur la socialisation organisationnelle des jeunes diplômés. Revue de gestion des ressources humaines, 87(1), 3
  • Laïchour, H., & Chanlat, J.-F. (2020). Les attentes professionnelles de salariés issus de territoires urbains français en difficulté : Entre inclusion et exclusion professionnelles. Question(s) de management, 30(4), 79
  • Perrot, S. (2000). L’entrée dans l’entreprise des jeunes diplômés: une approche en termes de tensions de rôles. Thèse de doctorat, soutenue à l’Université Paris Dauphine
  • Reichers, A. E. (1987). An interactionist perspective on newcomer socialization rates. Academy of Management Review, 12(2), 278-287
  • Tajfel, H., & Turner, J. C. (1986). The social identity theory of intergroup behavior. In S. Worchel & W. Austin (Eds.), Psychology of Intergroup Relations. 7-24. Chicago: Nelson-Hall