Parmi les initiatives visant à renforcer le poids des contributions des organisations face aux enjeux sociétaux et environnementaux actuels, l’adoption de la qualité juridique de « société à mission » a déjà convaincu plus de 1700 entreprises françaises. Depuis 2019, cette démarche permet la rédaction d’engagements extra-financiers dans les statuts juridiques de l’entreprise, en contrepartie d’un suivi et d’une vérification régulière quant à leur exécution. Les entreprises à mission doivent donc mobiliser des ressources (humaines notamment) afin de décliner de manière concrète et opérationnelle les engagements qui ont été définis dans leurs statuts.
Dans ce cadre, les managers de proximité jouent un rôle fondamental. En effet, leur position dans l’organisation les amène à participer à la concrétisation des décisions prises au niveau stratégique, tout en continuant à veiller aux bonnes conditions de réalisation de l’activité des opérationnels (Butler & Whiting, 2019). L’introduction d’une mission, considérée comme un nouvel « outil de gestion permettant d’assurer […] l’adhésion des équipes au projet collectif » (Levillain, 2017, p. 91), peut alors bousculer les pratiques managériales. Notamment, celle-ci peut faire émerger de nouvelles problématiques (cf. rapport « Société à mission et management », 2021) du fait des tensions qu’impliquent la juxtaposition de nouveaux objectifs parfois contradictoires. En plus de naviguer entre les « mondes » (Béguin, 2004), les managers sont ainsi susceptibles de se trouver à la croisée de logiques antagonistes. Dans la continuité des travaux de Castel (2024), nous nous intéresserons ici au travail réel des managers de proximité, en portant une attention spécifique au vécu subjectif associé à la déclinaison de la mission dans leur organisation.
Les données qui seront présentées sont issues de sept entretiens collectifs conduits auprès de 51 managers d’une société d’exploitation d’un réseau de transports en commun, ayant adopté la qualité de société à mission en 2023. L’analyse thématique réalisée sur la base de ce corpus offre une vue globale des multiples effets de l’intégration d’une « mission » dans la gouvernance de l’entreprise sur le travail des managers. Nous discuterons des apports de l’expression et du recueil du vécu subjectif à la compréhension fine des problématiques explicitées. Nous aborderons également les éléments qui témoignent des bénéfices de la méthodologie mobilisée pour la re-définition collective de nouveaux « objets de travail » (Le Bail, Chizallet & Prost, 2023) au prisme de la mission. Des pistes d’actions seront proposées afin que le point de vue des managers de proximité soit intégré comme une ressource dans la déclinaison de la qualité de « société à mission », et plus largement pour tout type d’initiatives visant le renforcement de la responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE).

References:

• Béguin, P. (2004). Mondes, monde commun et versions des mondes. Bulletin de psychologie, 57(469), 45-48.
• Butler, D. S., & Whiting, S. W. (2019). Perspectives on employee voice: A primer for managers. The Psychologist-Manager Journal, 22.
• Castel, D. (2024). Vers un management soutenable et soutenant: unir performance et santé grâce à la mise en discussion du travail. Psychologie du Travail et des Organisations, 30(2), 87-99.
• Communauté des Entreprises à Mission. (2021). Société à mission et management. En quoi la mise en place d’une mission interroge les pratiques managériales ?
• Le Bail, C., Prost, M., & Chizallet, M. (2023). Soutenir la conception collaborative de nouveaux objets de travail qui participent au développement durable: le cas d’un collectif d’enseignants?chercheurs en Sciences du Sport. Activités, 20(2).
• Levillain, K. (2017). Les Entreprises à mission. Un modèle de gouvernance pour l’innovation. Vuibert.