AIPTLF 2025 - du 8 au 11 juillet 2025
Qualité de Vie :
Du Travail aux Autres Sphères de l'Existence
Session :
Justice organisationnelle au menu : comment peut-elle être un levier de prévention des risques psychosociaux dans le secteur de la restauration ?
VILA S. 1
1 IRSST, Montreal, Canada
Le secteur de la restauration, caractérisé par des horaires atypiques, du travail émotionnel et des conditions de travail précaires (Vila Masse, 2016 ; Monchatre, 2010 ; Gatta, 2022), présente des défis majeurs en termes de risques psychosociaux (RPS). Cette communication propose d’explorer la justice organisationnelle comme un levier encore peu exploré de prévention des RPS, en s’appuyant sur une ethnographie immersive menée dans un restaurant québécois, l’Épicure. Cette étude illustre les dynamiques complexes entre justice perçue, bien-être des travailleuses et travailleurs, et durabilité organisationnelle.
La justice organisationnelle, définie comme la perception d’équité dans les procédures, les interactions et les résultats, constitue un enjeu clé pour la santé et le bien-être des employé.e.s (Colquitt et al., 2001 ; Greenberg, 1987). Lorsqu’elle est compromise, elle peut générer des frustrations, de l’épuisement et un désengagement accru.
Une approche ethnographique sur une période de deux ans a permis de recueillir des données qualitatives riches à travers 32 entretiens semi-directifs et des observations participatives. Les données ont été analysées en s’appuyant sur des cadres conceptuels issus de la justice organisationnelle, de la santé au travail et des dynamiques émotionnelles.
Les résultats révèlent que les perceptions de justice sont centrales dans les expériences des employé·e·s, influençant leur bien-être et leur engagement. Trois tensions principales émergent :
Justice salariale : La redistribution des pourboires suscite un sentiment d’iniquité, exacerbé par des écarts de rémunération entre la salle et la cuisine.
Justice procédurale : Les promotions, souvent basées sur des critères implicites et genrés, renforcent des sentiments d’injustice et de frustration, particulièrement chez les femmes.
Justice interactionnelle : Le soutien des gestionnaires, notamment en cuisine, atténue les effets négatifs de conditions de travail éprouvantes, mais crée une dépendance individuelle qui ne remet pas en cause les inégalités structurelles.
Les résultats montrent que la justice organisationnelle peut agir comme un levier pour réduire les RPS, mais uniquement si elle est intégrée à des pratiques équitables et transparentes. Dans le secteur de la restauration, cela passe par une revalorisation des métiers invisibles, une redistribution équitable des ressources, et des mécanismes formels de soutien. Toutefois, les biais implicites, les inégalités de genre et les attentes culturelles limitent l’impact potentiel de la justice organisationnelle si elles ne sont pas activement adressées.
Cette recherche met en lumière le caractère imbriqué et multidimensionnel de la justice organisationnelle, en montrant comment les travailleuses et travailleurs composent avec des tensions parfois contradictoires. Contrairement aux travaux qui isolent les dimensions de la justice, cette étude révèle que les perceptions d’équité ne sont pas statiques, mais évolutives, façonnées par les trajectoires individuelles et les contextes organisationnels. Enfin, elle souligne les capacités d’agir des employé·e·s, qui développent des stratégies d’adaptation et de résistance pour naviguer dans ces dynamiques complexes. Ces résultats appellent à une prise en compte accrue de la justice organisationnelle non seulement comme un outil de prévention des RPS, mais aussi comme une clé pour comprendre les dynamiques d’engagement et de résilience dans des environnements précaires.
References: