Caractérisée par son modèle dual mêlant pratique en entreprise et théorie en école, la formation professionnelle suisse offre un cadre pertinent pour étudier la qualité de vie au travail, notamment dans des secteurs aux fortes exigences émotionnelles comme ceux de la santé et du social. Cette recherche s’appuie sur la littérature montrant que la régulation émotionnelle contribue à la gestion du stress et à la prévention du burnout (Maheux et al., 2022). Elle explore son influence sur l’épuisement professionnel (EP) et la satisfaction de vie des apprenti·e·s, en tenant compte des conflits entre vie professionnelle et privée comme facteur explicatif. Mieux comprendre les éléments qui façonnent cet équilibre et leurs répercussions sur le bien-être permet d’identifier des pistes d’intervention. Cette étude explore dans quelle mesure une régulation émotionnelle efficace facilite la gestion de ces conflits et influence l’EP ainsi que la satisfaction de vie.

Méthode : 351 apprenti?e?s des secteurs santé-social, réparti?e?s dans cinq écoles professionnelles en Suisse, ont complété un questionnaire en ligne d’une durée de 40 minutes mesurant, de manière auto-rapportée, la régulation émotionnelle (CERQ, Jermann et al., 2006) ; l’équilibre travail-vie privée (SWING, Lourel et al., 2005) ; l’épuisement professionnel (SMBM, Sassi & Neveu, 2010), ainsi que la satisfaction de vie (SWLS, Bacro et al., 2020). Des analyses de médiation ont été réalisées afin d’examiner les relations directes et indirectes.

Résultats : Les résultats révèlent plusieurs dynamiques. Concernant l’EP, une mauvaise régulation émotionnelle exerce un effet direct significatif sur ce dernier (B=.0736, t (358)=8.02, p<.001). L’impact négatif du travail sur la vie privée agit comme un médiateur partiel (effet indirect=.0161, IC [0.0089, 0.0320], R²=.38). De même, l’impact négatif de la vie privée sur le travail joue un rôle de médiateur partiel, influençant indirectement l’EP (effet indirect=0.0161, IC [0.0078, 0.0269], R²=.26).
Concernant la satisfaction de vie, les résultats montrent que l’effet direct de la régulation émotionnelle n’est pas significatif. En conséquence, les conflits intersphères jouent un rôle médiateur complet. L’impact négatif du travail sur la vie privée (effet indirect=-0.0262, IC [-0.0420, -0.0127], R²=.18) et celui de la vie privée sur le travail (effet indirect=-0.0148, IC [-0.0253, -0.0055], R²=.05) captent entièrement l’effet de la régulation émotionnelle sur la satisfaction de vie.

Discussion : Ces résultats reflètent des mécanismes distincts : l’EP serait influencé directement par des traits individuels et des conflits intersphères, tandis que la satisfaction de vie dépendrait principalement des conflits intersphères, eux-mêmes influencés par la régulation émotionnelle. Par ailleurs, les parts de variance expliquées par les différents modèles indiquent un effet nettement plus marqué des impacts négatifs du travail sur la vie privée en comparaison avec ceux de la vie privée sur le travail.
Ces distinctions appellent à des interventions différenciées. Pour l’EP, les interventions devraient cibler les traits individuels, tels que la régulation émotionnelle, par ex., par des formations sur la gestion du stress. Afin d’améliorer la satisfaction de vie, les organisations devraient privilégier des politiques qui réduisent les conflits intersphères, comme la flexibilité des horaires ou le télétravail. D’autres pistes seront présentées lors de la présentation orale.

References:

• Bacro, F., Coudronnière, C., Gaudonville, T., Galharret, J.-M., Ferrière, S., Florin, A., & Guimard, P. (2020). The French adaptation of the Satisfaction with Life Scale (SWLS)?: Factorial structure, age, gender and time-related invariance in children and adolescents. European Journal of Developmental Psychology, 17(2), 307?316. https://doi.org/10.1080/17405629.2019.1680359
• Jermann, F. (2006). Cognitive Emotion Regulation Questionnaire (CERQ). European Journal of Psychological Assessment, 22(2), 126-131.
• Lourel, M., Gana, K., & Wawrzyniak, S. (2005). L’interface «?vie privée–vie au travail?»?: Adaptation et validation française de l’échelle SWING (survey work–home interaction-Nijmegen). Psychologie du Travail et des Organisations, 11(4), 227?239. https://doi.org/10.1016/j.pto.2005.10.003
• Sassi, N., & Neveu, J. P. (2010). Traduction et validation d'une nouvelle mesure d'épuisement professionnel: Le shirom-melamed burnout measure. Canadian Journal of Behavioural Science/Revue canadienne des sciences du comportement, 42(3), 177.
• Maheux, J., Ethier, C., & Trépanier, E. (2022). La régulation émotionnelle et la mentalisation chez les professionnels en relation d’aide?: Compétences émotionnelles et interpersonnelles au coeur de la pratique. Service social, 68(1), Article 1. https://doi.org/10.7202/1089870ar