En suisse, le système de formation duale repose sur l’engagement des entreprises qui accueillent et financent la formation des apprentis. Cet investissement en formation s’inscrit dans une stratégie tantôt de productivité, les apprentis constituant une main-d'œuvre à faible coût, tantôt d’investissement, visant à former un vivier de travailleurs qualifiés à recruter ensuite. La formation duale des assistants en soins et santé communautaire (ASSC), créée   en 2004 pour faire face à la pénurie de main d’œuvre dans le secteur de la santé, s’inscrit dans une stratégie d’investissement dont le retour dépend de la rétention des apprentis après leur formation. Or, seuls 26 % des diplômés exercent encore ce métier cinq ans après leur formation (Trede et al., 2017).
Dans ce contexte, cette étude s’appuie sur les théories de la socialisation organisationnelle (Chao et al., 2012 ; Delobbe & de Boer, 2023) pour comprendre les facteurs de rétention des ASSC dans l’entreprise formatrice. A la différence d’autres formes de socialisation (au métier, au travail, … – voir Duc et al., 2020), la socialisation organisationnelle a été peu explorée dans le cadre de la formation duale. Cette étude examine les processus psychosociaux par lesquels les apprentis ASSC développent un sentiment d’appartenance, un engagement et une loyauté à l’organisation ainsi que les ressources qui, au sein de l’entreprise formatrice, facilitent leur processus de socialisation et leur rétention. Deux perspectives théoriques sont mobilisées : la socialisation comme processus de construction identitaire examinant comme les nouveaux membres s’approprient leur rôle à travers leurs interactions et appartenances sociales (Ashforth & Schinoff, 2016 ; Tajfel & Turner, 1985), et la théorie de l'échange social qui éclaire les phénomènes de réciprocité et de contractualisation psychologique sous-tendant la construction de la relation d’emploi (Alter, 2012 ; Delobbe, 2022).
La méthodologie s’appuie sur les études de cas qualitatives au sein d’entreprises formatrices dans trois secteurs (hôpitaux, soins de longue durée et soins à domicile) et trois cantons contrastés (BE, GE, VD). À ce jour, trois études de cas ont été réalisées en soins aigus, incluant 9 entretiens, 14 journées d’observation et des analyses documentaires. Les données ont été analysées avec Atlas-Ti. Quatre études complémentaires sont prévues début 2025.
Les résultats préliminaires mettent en évidence l’entrelacement entre les processus de socialisation professionnelle et organisationnelle, ainsi que leur inscription dans des trajectoires personnelles et des politiques institutionnelles diversifiées. L’engagement durable des apprentis dans l’entreprise formatrice semble lié à leur perception des ressources offertes par l’organisation : les ressources sociales (relations avec l’équipe, le responsable ou le formateur), les ressources liées au travail (autonomie et diversité des tâches) et les ressources liées à la gestion du personnel (salaire, opportunités de développement professionnel).
Ces premiers résultats soulignent les défis liés à la rétention des apprentis dans les soins. En approfondissant les enjeux de socialisation organisationnelle lors de la transition entre apprentissage et premier emploi, notre analyse permettra d’identifier les leviers organisationnels favorisant la fidélisation et de fournir des recommandations aux entreprises formatrices pour limiter la perte de travailleurs qualifiés dans ce secteur clé.