Selon la théorie des frontières (Clark, 2000), les caractéristiques du télétravail rendent les frontières physiques et temporelles davantage flexibles et perméables (Leung & Zhang, 2017). Une plus grande flexibilité des frontières physiques et temporelles donne l’opportunité d’améliorer l’équilibre entre les sphères privées et professionnelles. Cet équilibre est néanmoins fragile, puisque la flexibilité s’accompagne de la perméabilité de ces mêmes frontières, ce qui peut occasionner des interruptions non souhaitées d’une sphère vers l’autre, générant ainsi des conflits entre vie privée et vie professionnelle (Vayre et al., 2022). Nos objectifs sont donc de déterminer les caractéristiques de la vie professionnelle et de la vie privée qui permettent d’expliquer l’intégration de la sphère privée à la sphère professionnelle. Nos hypothèses sont : (1) un fort investissement du domaine professionnel, par choix (engagement dans le travail élevé) ou par obligation (demandes professionnelles élevées), et une préférence pour la segmentation mènent les travailleur·euses à ne pas intégrer leur vie privée à leur vie professionnelle ; (2) les demandes élevées issues de la sphère privée et la flexibilité au travail (autonomie, télétravail fréquent) sont liées à l’intégration de la sphère privée à la sphère professionnelle par les travailleur·euses ; (3) partant du fait que l’intégration peut mener à l’équilibre mais également à des conflits : il existe une différence entre les segmentateur·rices et les intégrateur·rices vis-à-vis de la satisfaction à l’égard de l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle.
Les analyses ont été menées auprès d’un échantillon de 1344 travailleur·euses qui télétravaillent 1 à 5 jours par semaine. Les caractéristiques professionnelles et la satisfaction à l’égard de l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle ont été mesurées avec des échelles validées scientifiquement (Kreiner, 2006 ; Morgeson & Humphrey, 2006 ; Siegrist et al., 2014 ; Shaufeli et al., 2017 ; Syrek et al., 2011). Les demandes de la vie privée ont été mesurées avec un item questionnant le niveau de répartition des tâches et un item questionnant le nombre de personnes cohabitants avec le·la répondant·e (i.e. conjoint·e et/ou enfants). Un item binaire (Oui/Non) a été utilisé pour évaluer l’intégration de la sphère privée à la sphère professionnelle. 
Les hypothèses 1 et 2 ont été testées via une régression logistique ; l’hypothèse 3 a été testée via une ANOVA.
Les résultats montrent notamment que les demandes professionnelles élevées et l’engagement dans le travail ont tendance à augmenter la probabilité (Odds Ratio - OR) d’intégrer la sphère privée à la sphère professionnelle. De même, les demandes de vie privée et l’autonomie au travail augmentent la probabilité (OR) de ne pas intégrer les deux sphères de vie. On notera que la fréquence de télétravail n’a pas eu d’effet significatif. Enfin, les intégrateur·ices sont moins satisfaits de leur équilibre entre vie privée et vie professionnelle que les segmentateur·ices.
Nos résultats vont plutôt à l’encontre de nos hypothèses. Ils semblent indiquer que l’intégration se fait pour laisser davantage de place à la sphère professionnelle, par choix (engagement) ou par contrainte (demandes professionnelles), et peut créer un déséquilibre entre les deux sphères de vie, là où la segmentation semble être mise en place pour mieux prendre en charge les demandes élevées issue de la vie privée.

References:

• Clark, S. C. (2000). Work/family border theory: A new theory of work/family balance. Human Relations, 53(6), 747–770.
• Leung, L., & Zhang, R. (2017). Mapping ICT use at home and telecommuting practices: A perspective from work/family border theory. Telematics and Informatics, 34(1), 385–396. https://doi.org/10.1016/j.tele.2016.06.001
• Vayre, É., Morin-Messabel, C., Cros, F., Maillot, A.-S., & Odin, N. (2022). Benefits and Risks of Teleworking from Home: The Teleworkers’ Point of View. Information, 13(11), 545. https://doi.org/10.3390/info13110545