AIPTLF 2025 - du 8 au 11 juillet 2025
Qualité de Vie :
Du Travail aux Autres Sphères de l'Existence
Session : Rapport au Travail en tension
Une exploration clinique des conflits de valeurs au sein d’une entreprise avec délégation de service public
INGRID P. 1
1 Université catholique de l'ouest, Angers, France
Cette intervention-recherche a pour objectif d’investiguer le vécu de conflits de valeurs chez des agents et des managers au sein d’une entreprise avec délégation de service public. Elle se situe dans le champ de la clinique de l’activité.
Un travail inutile ou dénué de sens, un manque de moyens portant atteinte à la qualité du travail perçue ou un travail qui contrevient aux convictions personnelles de l’individu seraient les principaux déclencheurs des conflits de valeur (Bèque, 2021). La demande émanant de l’entreprise nous permet d’investiguer cette question. Elle est au centre d’une controverse entre la clinique de l’activité et la psychodynamique du travail. Cette dernière avance la notion de souffrance éthique. Le travailleur devient la victime de sa propre conduite en acceptant de faire des actes qu’il réprouve moralement. Clot (2010) ne s’engage pas sur le terrain des valeurs morales. Les conflits de valeurs sont envisagés comme un drame de la conscience professionnelle et c’est sous le prisme de la qualité empêchée qu’il faut les investiguer (Clot, 2001, 2008, 2015). Nous postulons qu’ils constituent une atteinte au métier. Les individus vont avoir le sentiment de ne pas faire du bon travail dès lors que leur vision du travail bien fait est mise en échec par la prescription et les conditions de travail. Les critères d’un travail de qualité s’élaborent à l’aune des exigences du prescripteur sur le travail (registre impersonnel) et dans la traduction de ces prescriptions opérée par le collectif pour les adapter aux conditions réelles (registre transpersonnel). C’est précisément ici, entre impersonnel et transpersonnel que va s’initier la déliaison. Des prescriptions de travail aveugles à la réalité du terrain, la redistribution et l’ajout de tâches, l’inflation de la prescription ou encore des conditions de travail détériorées (registre impersonnel) viennent nécroser le registre transpersonnel. Non seulement la régulation de l’écart prescrit - réel se trouve entravée, mais les critères du travail bien fait posés dans l’histoire collective ne rencontrent plus ceux du prescripteurs.
L’intervention s’est déroulée sur une année, de février 2023 à février 2024. Elle concerne l’entité « voyageurs » d’une grande gare parisienne (coté lignes de banlieue). Trois collectifs d’enquête ont été constitués (agents commerciaux, managers de proximité (M1), managers de secteur (M2)). Nous nous sommes rencontrés trois fois deux heures. L’analyse est complétée par une étude documentaire et des observations sur le terrain.
L’analyse montre un conflit de valeurs centré sur la qualité empêché chez les agents et M1. Les agents ne peuvent plus élaborer dans le collectif des façons de faire qui leurs permettent de faire face aux difficultés et aux exigences du prescripteur. L’impression de travail ni fait ni à faire fait naitre chez les agents un sentiment de honte. Du côté des M1, les difficultés viennent d’une absence d’histoire collective. La fonction est nouvelle et les opportunités de créer du collectif quasi-inexistantes. De plus, les prescriptions n’offrent pas un cadre suffisamment clair, ni de ressources permettant d’élaborer des règles de métier. Pour les M2, l’analyse suggère des conflits éthiques épisodiques. Ils agissent parfois contre eux-mêmes parce qu’il faut faire ce qui est à faire. Néanmoins, ils maintiennent leur pouvoir d’agir par des contributions non subordonnées à la prescription et permettant la bonne marche de leur secteur.
References: