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AIPTLF 2025 - du 8 au 11 juillet 2025

Qualité de Vie :
Du Travail aux Autres Sphères de l'Existence

Session :

Élaborer son expérience pour développer son pouvoir d’agir au travail : les effets de la résistance au récit spontané de l’expérience dans l’instruction au sosie

MIOSSEC Y. 1

1 cnam, paris, France

Les étudiants en psychologie qui se forment à la clinique du travail (Cnam, âge moyen 44 ans) dans le cadre d’une reconversion professionnelle sont appelés à réaliser une analyse de leur rapport subjectif au travail. Pour construire cette analyse, ils s’appuient sur un dialogue enregistré (40 minutes) avec un soi-disant sosie à qui il doivent faire comprendre ce qu’il devrait faire pour faire exactement comme eux dans leur situation de travail (Miossec, 2017). Ce dialogue constitue le matériau à partir duquel ils réfléchissent à leurs manières d’agir en situation de travail. On constate que les analyses produites portent sur l’existant mais qu’elles s’ouvrent aussi sur l’imagination de possibilités de travailler qui conviendraient mieux aux professionnels/étudiants.
Ces textes donnent à voir des processus qui intéressent la psychologie historico culturelle (Vygotski 1997, Bruner 1991, Clot, 2008) dont les travaux portent sur le développement des capacités psychologiques à tous les âges de la vie. En psychologie du travail, on regarde le rapport subjectif au travail non pas comme un état stable et fixe mais comme un processus ouvert à des développements. Ainsi, les textes produits par les étudiants portent la marque de la « faculté intellectuelle à envisager des alternatives, à concevoir d’autres manières d’être, d’agir ou de lutter » (Bruner, 1991). En ce sens, on peut dire que l’analyse produit de la connaissance du rapport au travail mais soutient aussi le développement possible de ce rapport. Vygotski propose une image des processus à l’œuvre : « Comme devant un échiquier, je vois autrement, je joue autrement ». (Vygotski, 1997).
Comment le dispositif de l’instruction au sosie favorise-t-il ce développement du rapport au travail en soutenant l’imagination de nouvelles possibilités d’action plus favorables à la santé au travail (Miossec et Simonet, 2019, Miossec et Rouat, 2020) ? Nous instruisons cette question en analysant les interactions dialogiques entre le psychologue du travail/sosie et le professionnel au cours de ce « drôle de dialogue » et ses effets dont on trouve la trace dans les textes produits.
Le caractère développemental de l’analyse du travail peut être conçu de plusieurs façons. On regarde ici comment le dialogue professionnel/sosie permet l’émergence d’un nouveau récit à propos de la situation de travail et des possibilités de s’y positionner. Avec Bruner (2002), nous considérons que le récit est la forme mentale de l’expérience et qu’il est constitué de cinq éléments : le Protagoniste, l’Action, la Scène, les Buts et les Moyens. On regarde les effets de la « résistance » du psychologue aux discours spontanés que le professionnel livre sur son expérience. Plus précisément, on regarde comment les questions du psychologue/sosie qui se projette dans la situation de travail du professionnel oppose et propose en creux un contre récit. La situation et l’activité imaginées par le psychologue installent alors un déséquilibre entre les éléments du récit de l’expérience telle qu’elle est mise en forme spontanément. On éclaire la manière dont ce déséquilibre produit par le dialogue favorise la réflexivité chez le professionnel. L’expérience vécue ne reste pas fixe face à cette réflexivité (Bruner, 1991) et on montre comment elle peut devenir un moyen de vivre de nouvelles expériences (Clot, 2008) via l’émergence d’un nouveau récit qui intègre des possibilités d’agir que le professionnel imagine à cette occasion.
 
 

References:

  • Bruner, J. (1991). …car la culture donne forme à l'esprit. Paris : Eshel.
  • Bruner, J. (2002). Pourquoi nous racontons-nous des histoires ? Paris : Retz.
  • Clot, Y. (2008). Travail et pouvoir d’agir. Paris : PUF.
  • Miossec, Y. (2017). Donner des consignes a un sosie et adopter un autre regard sur les possibilités de développement des manières d’agir au travail, Horizontes, 35, 38-57.
  • Miossec, Y., & Simonet, P. (2019). « Le travail sur le travail » pour agir en santé au travail. In J.-L. Bernaud, P. Desrumaux, & C. Jeoffrion (Eds.) Dix études de cas en psychologie du travail ( pp.133-157). Paris : Dunod.
  • Miossec, Y, & Rouat, S. (2020). La recherche d’efficacité dans les actions de santé au travail. Le « travail sur le travail » comme alternative à la formation sur les risques psychosociaux. Psychologie du travail et des organisations, 26, 98-107.
  • Vygotski, L. (1997). Pensée et Langage. Paris : La Dispute.