Introduction et cadre théorique :
Les mutations du travail social affectent la reconnaissance au travail et interrogent la motivation des travailleurs sociaux. Ici, nous abordons la reconnaissance au travail comme un levier identitaire et motivationnel des travailleurs confrontés aux tensions de logiques dans leurs milieux de vie et de travail (Pouyaud & Angel, 2023). La littérature en PTO aborde souvent la reconnaissance sous l’angle des échanges et des récompenses (Brun & Dugas, 2005), négligeant la dimension identitaire et le rôle actif du travailleur dans son rapport au travail. Dans cette étude, nous explorons comment les personnes se reconnaissent dans les pratiques de l’organisation, des supérieurs, collègues et partenaires. Nous complétons cette investigation de la reconnaissance au travers du jugement de beauté et d’utilité du travail (Dejours, 2003). L’adéquation entre les principes motivationnels des personnes et ceux de l’organisation, favorise les attitudes positives des travailleurs au travail (Roczniewska et al., 2018). Nous faisons alors l’hypothèse que lorsque les principes motivationnels des travailleurs sociaux sont en adéquation avec ceux de l’organisation, ils se reconnaissent mieux dans les pratiques de leur environnement de travail et évaluent plus positivement la valeur de leur travail.

Méthodologie :
L’étude questionne 239 travailleurs sociaux en France (81?% de femmes ; âge moyen 38,8?ans), issus de divers secteurs du travail social. Les mesures incluent les focus régulateurs individuels (RFQ?; Higgins et al., 2001) avec des items tels que «Il m’arrive de ne pas suivre les règles, procédures ou normes habituelles» et organisationnels (mesure ad hoc inspirée de Wallace et Chen, 2006), avec des items tels que «Votre institution demande à ses employés de favoriser la prudence et le respect des règles». L’échelle de reconnaissance de soi dans l’organisation, auprès des supérieurs, collègues et partenaires, a été développée pour l’étude, avec des items tels que «Vos supérieurs font des choix avec lesquels vous ne vous reconnaissez pas». La valeur du travail (utilité/beauté), échelle ad hoc inspirée de Dejours (2003), est mesurée avec des items tels que «J’ai le sentiment que mon travail est utile au bon fonctionnement de l’institution».

Résultats :
La reconnaissance de soi avec son environnement de travail est corrélée positivement à la perception d’un travail utile et beau (r?=?0.492, p?<?.001). L’effet négatif de l’adéquation régulatrice promotionnelle sur la reconnaissance de soi au travail (β?=?−0.289, p?<?.001) va dans le sens de l’hypothèse. Mais l’inadéquation préventive a un effet positif (β?=?0.180, p?<?.001). Des analyses complémentaires sont actuellement menées pour tester les modèles de médiation et d’autres configurations permettant de comprendre la reconnaissance des travailleurs sociaux.

Discussion :
La théorie de l’adéquation régulatrice se fonde sur une théorie de l’identité (Higgins, 1987). Nos résultats montrent que des mécanismes motivationnels et identitaires sous-tendent la reconnaissance de soi au travail au-delà de principes de récompenses. Cependant, la seule adéquation régulatrice n’explique pas tout et d’autres études devront être menées. Si se reconnaître dans son environnement de travail affecte la valeur du travail, on voit alors comment les tensions de logiques et les tensions relationnelles pourraient augmenter le risque de dépersonnalisation et d’amotivation du syndrome de burn-out.

References:

• Brun, J.-P., & Dugas, N. (2005). La reconnaissance au travail : Analyse d’un concept riche de sens. Gestion, 30(2), 79–88. Dejours, C. (2003). L'évaluation du travail à l'épreuve du réel : Critique des fondements de l'évaluation. Paris : Editions INRA. El Akremi, A., Sassi, N., & Bouzidi, S. (2010). Rôle de la reconnaissance dans la construction de l’identité au travail. Relations Industrielles, 64(4), 662–684. Higgins, E. T. (1987), « Self-discrepancy : a theory relating self and affect ». Psychological review, vol. 94, n°3, p. 319-340. Higgins, E. T. (2000), « Making a good decision: value from fit ». American psychologist, vol. 55, n°11, p. 1217-1230. Higgins, E. T. (2002). How Self-Regulation Creates Distinct Values?: The Case of Promotion and Prevention Decision Making. Higgins, E. T. (2008). Regulatory fit. In J. Y. Shah & W. L. Gardner (Eds.), Handbook of motivation science (pp. 356–372). The Guilford Press. Pouyaud, J., & Angel, V. (2023). Between norms and margins: The Roczniewska M, Retowski S, Higgins E. T. (2018). How person-organization fit impacts employees’ perceptions of justice and well-being. Front. Psychol. 8:2318