AIPTLF 2025 - du 8 au 11 juillet 2025
Qualité de Vie :
Du Travail aux Autres Sphères de l'Existence
Session : Santé et Souffrance au Travail
De la peur de la faute professionnelle aux idéations suicidaires, quels processus sous-tendent la suicidalité des vétérinaires français ?
MUDRY A. 1, TRUCHOT D. 1, ANDELA M. 1
1 Laboratoire de Psychologie de Besançon, Besançon, France
Problématique : Les vétérinaires sont particulièrement vulnérables au risque suicidaire en France et dans le monde (Bartram & Baldwin, 2010). L’étude de leurs stresseurs professionnels souligne l’impact significatif de la peur de commettre une erreur médicale sur leur santé au travail (Bartram et al., 2009). Cette crainte de réaliser une faute professionnelle explique une part significative de la variance de leurs idéations suicidaires concomitantes, mais également ultérieures. Notre objectif est de comprendre par quels processus ce stresseur professionnel génère des idéations suicidaires chez les vétérinaires. Pour ce faire, nous avons mobilisé deux théories psychosociales du suicide au travail dans une étude longitudinale : la théorie de l’Évasion de soi (Baumeister, 1990), et la Théorie Interpersonnelle du Suicide (Van Orden et al., 2010).
Méthodologie : Une enquête qualitative a tout d’abord été conduite par entretiens, auprès de 39 vétérinaires français, pour analyser finement les stresseurs professionnels qu’ils rencontrent dans leur pratique quotidienne.
Nous avons ensuite mené une recherche quantitative longitudinale, incluant 3 temps de mesure pour une durée totale de 33 mois (ΔT1-T2 = 15 mois ; ΔT2-T3 = 18 mois). 289 vétérinaires ont répondu aux 3 questionnaires, qui mesuraient à la fois leurs stresseurs professionnels (Mudry et al., soumis), leurs idéations suicidaires au travail (Garrison et al., 1991), mais aussi les 4 sous-dimensions des théories psychosociales du suicide étudiées, c’est-à-dire leur sentiment de défaite personnelle, leur sentiment d’être piégé dans leur situation professionnelle (Griffiths et al., 2015), ainsi que leur sentiment d’être un fardeau pour autrui, et leur sentiment d’appartenance contrariée au collectif (Van Orden et al., 2012).
Résultats : L'analyse de régressions multiples a révélé que 31 % de la variance des idéations suicidaires de T3 étaient expliqués par le modèle testé (R² = .31, p < .001). Chacune des 4 variables des théories du suicide mesurées à T2 (défaite personnelle, piège, fardeau et appartenance contrariée) a montré une association significative avec les idéations suicidaires des vétérinaires à T3, 18 mois plus tard (tous les p < .001).
Les analyses ont également mis en évidence le rôle médiateur joué par ces 4 variables mesurées à T2 dans la relation entre la crainte de commettre une erreur professionnelle à T1, et les idéations suicidaires à T3. Ces sentiments négatifs de défaite, de piège, de fardeau et d’appartenance contrariée sont donc des processus par lesquels la crainte de commettre une erreur professionnelle engendre des idéations suicidaires chez les vétérinaires à distance dans le temps (Δ = 33 mois).
Discussion : Nos résultats montrent l’intérêt de mobiliser ces deux théories du suicide au travail, pour comprendre comment un stresseur professionnel, la crainte de commettre une faute professionnelle, conduit les vétérinaires à ressentir des idéations suicidaires.
Ces résultats sont discutés du point de vue de leurs implications théoriques et pratiques.
References: