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AIPTLF 2025 - du 8 au 11 juillet 2025

Qualité de Vie :
Du Travail aux Autres Sphères de l'Existence

Session :

Travail, pouvoir, autorité et nouvelles formes de servitude

HAMRAOUI E. 1

1 CNAM, Paris, France

Travail, pouvoir, autorité et nouvelles formes de servitude
 
Les nouveaux modes d’organisation du travail mis en place à partir du début des années 1980 dont les cliniciens du travail ont montré l’effet pathogène (Dejours, 1998) ont entraîné une redéfinition du rapport de l’individu au pouvoir au sein de l’entreprise, que nous tenterons d’analyser à la croisée des points de vue de la représentation et de la réalité, de l’horizontalité et de verticalité, du social et de l’individuel.
Avec la promotion de la figure de l’individu autonome le pouvoir a cessé d’être défini et perçu comme réalité négative imposée de l’extérieur pour s’affirmer en tant que dynamique positive impulsée de l’intérieur.
Ce renversement de perspective est toutefois moins total qu’il n’y paraît. L’autonomie dont il est ici question est en effet indissociable de l’existence d’un principe de contrôle venant s’exercer sur l’individu lui-même, à partir de lui-même (Han, 2014/2010).
Cette abolition de la frontière existant entre l’intérieur et l’extérieur, qui structurait le rapport de travail salarié dans le paradigme taylorien de l’organisation de la production, a un coût : celui d’une tyrannie parfois plus grande que lorsque l’instance de commandement se trouve externalisée. L’absence de frontière est aussi absence de limites et, par conséquent, de médiations possibles. L’auto-tyrannie de l’individu sait être plus intraitable que la tyrannie de l’entreprise consommatrice du travail humain ; car privée de la ressource liée aux formes d’arbitrages conçues à l’issue de luttes, de négociations, de compromis ou de délibérations dont l’issue fait autorité.
L’autorité substitue le principe de légitimité à celui d’une stricte légalité (voir l’exemple des « lois travail » votées au cours des années 2010) aveugle à la nécessité du principe de ménagement du corps et de la psychè, mis à mal par le régime d’accélération et d’intensification de nos rythmes de vie et de production. Elle rappelle que le management, compris dans son principe, est ménagement avant d’être technique de maniement des hommes (Le Texier, 2016).
Plus favorable à l’affirmation de la puissance d’exister (Spinoza, 2020/1677) que du seul pouvoir d’agir des individus dans le travail, le principe d’autorité  est aujourd’hui menacé par la prévalence d’une triple logique de pouvoir dont les éléments sont à la fois distincts et entrecroisés : un mouvement de désubjectivation qui se donne à voir sous la figure d’un élan de subjectivation à travers la promotion d’un l’individu autonome – en réalité souvent privé des moyens d’exercer celle-ci – le passage d’un principe de subordination à une logique d’auto-contrôle ; enfin, l’enfermement dans le cercle d’une « liberté d’obéir » (Chapoutot, 2020) dont le principe diffère de celui d’un asservissement volontaire. Ce qui permet d’ouvrir une discussion concernant tant les champs de la philosophie politique et de l’histoire du management que l’analyse du travail.

References:

  • 1. Chapoutot, J. (2020). Libres d’obéir. Paris : Gallimard. 2. Dejours, C. (1998). Souffrance en France. Paris : Seuil. 3. Garcia, T. (2016). Garcia, T. (2016). La vie intense. Une obsession moderne. Paris : Autrement. 4. Han, B.- C. (2014/2010). La société de la fatigue. Traduit de l’allemand par Julie Stroz, Belval : Circé. 5. Hamraoui, E. (2023). Disparition du principe d’autorité et transformations en cours dans le monde du travail. L’actualité de la pensée d’Hannah Arendt. Pensée plurielle (éditions de Bœck supérieur), n°58, p. 103-116. 6. Hamraoui, E. (2010). « Servitude volontaire ou désubjectivation ? », dans Travail et santé, sous la direction d’Yves Clot et Dominique Lhuilier, Toulouse, Éditions Érès, p. 101-114. 7. Hamraoui, E. (2010), « L’individu ne se soumet pas, il se dédouble », Entreprise et carrière, 995, 30 mars-5 avril, p. 30-31. 8. Hamraoui, E. (2005). « Servitude volontaire : l’analyse philosophique peut-elle éclairer la recherche pratique du clinicien ? », Travailler, 13, Revigny-sur-Ornain, Martin Media, p. 35-53. 9. Hamraoui, E. (2007), Lexique conceptuel (entrées « Consentement », « Domination », « Harcèlement », « Injustice », « Maltraitance », « Rapports de force », « Rapports sociaux », « Servitude volontaire » et « Violence »), dans Dejours (2007), Conjurer la violence. Travail, violence et santé, Paris, Payot, p. 292-302. 10. Le Texier, T. (2016). Le maniement des hommes. Essai sur la rationalité managériale. Paris : La Découverte. 11. Rosa, H. (2010). Accélération. Une critique sociale du temps, traduit de l’allemand par Didier Renault. Paris : Éditions La Découverte. 12. Spinoza, B. (2020/1677). Œuvres, IV Ethica/Ethique. Editions publiée sous la direction de P.-F. Moreau – texte établi par F. Akkerman et P. Steenbakkers, trad. par P.-F. Moreau. Paris : PUF.